Paresse, mère de vertu ?


an imageS’il est un thème récurrent dans les questions de société, la paresse en est un. De tous temps, elle a cristallisé questionnements et débats passionnés quant à son danger ou son intérêt. Point de départ du constat : son assimilation aux sept pêchés capitaux de la tradition catholique. La paresse est alors le Mal incarné agité pour effrayer le croyant qui serait tenté de se laisser aller. Bien plus tard, prise dans le tourbillon de la révolution industrielle du XIXe siècle, de l’apologie productiviste du stakhanovisme et du taylorisme au XXe, la paresse a définitivement disparu des préceptes moraux de la société. C’est paradoxalement à cette même époque que les premières voix dissonantes se font entendre, fissurant le dogme travailliste bien établi.

En effet, du Droit à la paresse(1880) du socialiste Paul Lafargue, à l’Eloge de la paresse (1926) d’Eugène Marsan, portée par l’apparition en 1936 des premiers congés payés et la réduction constante du temps de travail, définitivement « entérinée » par les revendications soixante-huitardes et prônée aujourd’hui par les partisans de la sieste au travail, la paresse, ou du moins de façon moins péjorative, l’oisiveté progresse dans les mœurs et bouleverse progressivement les valeurs admises.

Etrangement, il s’agit moins d’une révolution que d’un retour aux sources. Si le travail a été érigé en valeur morale dans nos sociétés modernes, c’était tout le contraire durant l’Antiquité dans le berceau culturel de l’Europe. Le labeur était alors dévalué et laissé aux esclaves et servants afin de laisser aux citoyens la possibilité de s’adonner à des activités utiles à la société, comme la philosophie, la politique, les arts…

La paresse suscite un tel intérêt aujourd'hui qu’un de ses symptômes les plus célèbres fait l’objet d’études sérieuses et d’une dénomination toute scientifique : la procrastination. La procrastination est le fait de remettre systématiquement la moindre tâche à plus tard. Derrière ce phénomène, et grâce justement à ces études, on sait maintenant que se cache derrière la paresse différents comportements aux nuances subtiles, bien éloignés de l’image simpliste de l’amorphe fainéant.

Bien entendu, la première et la plus simple des causes de la paresse est l’évolution naturelle des mœurs et des valeurs : face à la pression toujours croissante de notre environnement, notamment professionnel, une fatigue psychologique et psychique s’installe et nous pousse à davantage prendre soin de nous et à baisser le rythme. Moins évident est le cas des personnes paralysées par un perfectionnisme, qu’il soit naturel ou contraint par l’environnement, leur faisant systématiquement douter de leur capacité à accomplir de façon forcément parfaite la moindre tâche. Mais le cas concernant sans conteste le plus grand nombre est celui de l’individu simplement dans son époque. Épris d’instantanéité, de quasi-ubiquité technologique, il a lentement laissé s’atrophier sa perception du long-terme au profit de la seule vision court-termiste. Incapable alors de percevoir la nécessité de réaliser une action dont l’impact sortirait de son champ de projection temporel, il se contentera de vivre paralysé dans l’instant présent.